Changements climatiques et pandémie, quel virage prendre dans la conception des bâtiments?

Profitons du recul pris pendant nos congés estivaux pour évaluer les impacts de la pandémie sur le secteur du bâtiment mais aussi et surtout les liens avec les objectifs de lutte et d’adaptation aux changements climatiques. Quels ont été nos apprentissages? Quelles actions prioriser à l’avenir et pourquoi?

 

Ne pas se laisser happer par une actualité omniprésente et voir plus loin : la lutte contre les changements climatiques demeure une priorité. 

La prépondérance logique de la pandémie dans l’actualité depuis plusieurs mois ne doit pas occulter la nécessité absolue de lutter contre les changements climatiques. L’immédiateté et la menace personnelle qui caractérise une pandémie tendent à mobiliser plus largement et plus activement que les changements climatiques. Et évidemment, les effets de nos actions pour contrer la pandémie se mesurent plus facilement et plus rapidement que ceux de nos actions en matière de lutte contre les changements climatiques 1. Nous avons donc naturellement tendance à vouloir concentrer les efforts vers la pandémie.

Pourtant, les changements climatiques déjà en cours auront des conséquences encore plus néfastes sur le long terme pour l’ensemble de la planète. 

Au-delà des temporalités différentes, pandémies et changements climatiques sont indissociables. En effet, il ne faut pas oublier que les changements climatiques augmentent les risques de pandémies. Ainsi, d’anciens pathogènes pourraient de nouveaux circuler 2 du fait dégel du pergélisol et de la fonte des glaciers ou encore de l’expansion géographique des vecteurs de maladies infectieuses comme les moustiques par exemple. Un nombre accru de personnes pourraient de ce fait être exposé aux risques de maladies infectieuses.

De plus, considérant que les personnes vulnérables à une pandémie le sont souvent également aux changements climatiques 3, on ne peut que s’indigner comme Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville 4, de cette constatation et redoubler d’effort dans nos projets de lutte contre les changements climatiques. N’oublions pas que les personnes qui nous soignent sont aussi, bien trop souvent, celles qui sont les plus vulnérables.

Et pour couronner le tout, les effets néfastes des changements climatiques peuvent démultiplier les conséquences dévastatrices des pandémies. Comment aurions-nous fait au printemps 2020 (ou ferons-nous peut-être au printemps 2021), face à des inondations comme celles connues en 2017 et 2019, alors que nous étions déjà en plein coeur d’une pandémie qui mobilisait déjà les services de secours, militaires et gouvernementaux de tous niveaux ?

 

La pandémie a démontré notre grande capacité d’action rapide, collective mais aussi de résilience: un grand espoir pour la lutte contre les changements climatiques!

Notre capacité de résilience collective et individuelle est largement sollicitée et démontrée depuis le début de la pandémie de COVID-19. Nous ne nous sommes pas contentés d’une adaptation passive, nous sommes parvenus à prendre des décisions majeures : ralentissement économique, aménagements de rues pour faciliter les déplacements actifs, mobilisation de financements pour la relance, etc. 

Pourquoi ne pas s’appuyer sur cette incroyable énergie d’action et sur cette capacité à engager des ressources financières pour lutter également contre les changements climatiques dans le même élan et avec la même ferveur?

Car non seulement lutter contre les changements climatiques revient indirectement à limiter les risques de pandémie mais surtout, les actions déjà reconnues de lutte contre les changements climatiques s’avèrent souvent être de véritables atouts de résilience face aux pandémies.

 

On ne révolutionne pas le secteur immobilier du jour au lendemain mais on peut d’ores et déjà poser un nouveau regard sur des bonnes pratiques existantes qui pourraient prendre de l’essor.

Plutôt que de se perdre en conjonctures sur les changements radicaux qui pourraient survenir à la suite de la pandémie, et dans une optique de bien distinguer l’urgence de l’importance d’agir, concentrons nous sur les bonnes pratiques qui devraient être encouragées à l’avenir. Concernant les bâtiments résidentiels, listons de manière non exhaustive les mesures de lutte et d’adaptation aux changements climatiques qui prendront encore plus d’ampleur du fait de la pandémie:

  • systématiser la création d’espaces privatifs pour chaque logement et d’espaces semi-privatifs extérieurs : balcons, toitures-terrasses, espaces verts intérieurs de superficie suffisante pour pratiquer de l’exercice physique ou pour le jeu. Les espaces dits intermédiaires offrent tout à la fois le confort du chez-soi et la liberté associée à l’extérieur 5. Ils sont une transition entre l’intérieur et la vie dans l’espace public;
  • intégrer des espaces de socialisation qualitative et de rencontre entre les habitants. Ils permettent par exemple aux aînés de ne pas être isolés, ce qui est utile en temps de pandémie, de canicule mais aussi de tempête hivernale. Il s’agit de jumeler des lieux de passage communs (corridors, grands escaliers etc.) à des espaces plus grands pour y pratiquer des activités en groupe ou seul comme des jardins potagers, des toitures-terrasses, des salles communes etc.;
  • prioriser la performance énergétique et le confort thermique en toutes saisons : consommer moins d’énergie dans son logement est d’autant plus important quand nous y passerons plus de temps en télétravail. En période de confinement, les déplacements des urbains vers les zones de fraîcheur sont plus limités accentuant ainsi l’importance de limiter la surchauffe. Les logements traversants qui permettent un rafraîchissement nocturne ont aussi pour avantage de limiter le recours à des systèmes de climatisation et de ventilation dont l’air pourrait être vicié, en plus d’accentuer les effets locaux d’îlot de chaleur et de consommer de l’énergie;
  • orienter les choix de matériaux et de conception vers la santé des occupants : bien entendu, la qualité de l’air intérieur devrait être plus attentivement étudiée à l’avenir. De même, en passant plus de temps chez soi, l’insonorisation des logements devient encore plus essentielle, tout comme éclairage naturel et même la connexion à la nature (conception biophilique);
  • choisir judicieusement la localisation de son projet : lorsque les déplacements sont limités, et dans un souci de santé, la proximité directe des commerces et des services à pieds et à vélo est essentielle. C’est aussi l’une des solutions les plus efficaces en terme de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’un bâtiment;
  • aménager des stationnements à vélos plus grands et faciles d’accès : pour encourager les déplacements à vélo et inciter le report modal, chaque logement devrait disposer d’un stationnement vélo par personne, sécurisé et facilement accessible. Pour les grands bâtiments, une station d’entretien et de réparation est un autre incitatif non négligeable. 
  • réserver des espaces de travail dans les logements : les architectes pourraient concevoir des espaces de travail confortables voir modulables pour faciliter le télétravail.

Comment alors concilier toutes ces mesures dans un budget de projet contraint et sans allonger le calendrier ? Une des réponses se trouve sans doute dans l’approche globale de toute l’équipe du projet : la résilience du projet prend racine dans la flexibilité de ses concepteurs et de ses constructeurs. Ainsi, le processus de conception intégrée permet d’anticiper et d’éviter, en conception, les prises de décisions en phase chantier pour mieux maîtriser le budget du projet. Avez-vous déjà évalué les surcoûts (budget initial vs budget final) associés aux litiges contractuels et d’échéancier par un manque de coordination initiale et d’évaluation des risques (p.ex. pour la gestion des sols contaminés)? Il ne serait pas étonnant que vous découvriez un coût additionnel de 5 à 10% du budget de projet soit suffisamment pour financer un projet LEED. 

 

Et vous, quelles améliorations prévoyez-vous dans vos projets immobiliers ?

 

Sources:

1 BOIVIN Maxime (2020). “Comment communiquer sur les changements climatiques en période de COVID-19?”, Mon climat, ma santé, INSPQ. [http://www.monclimatmasante.qc.ca/comment-communiquer-sur-les-changements-climatiques-en-periode-de-covid-19-.aspx?utm_source=Bulletin+Janvier+2012&utm_campaign=Bulletin+Octobre+2015&utm_medium=email] (consulté le 8 juillet 2020)

2 CHAUVIN Hortense (2020). “Pandémie de Covid-19 : la première d’une longue liste en raison du dérèglement climatique ?”, actu-environnement.com. [https://www.actu-environnement.com/ae/news/dereglement-climat-coronavirus-augmentation-propagation-virus-pandemie-35212.php4] (consulté le 31 juillet 2020)

3 LANGLAIS Tamari (2020). “Quelles perspectives pour la lutte contre les changements climatiques?”, Mon climat, ma santé, INSPQ. [http://www.monclimatmasante.qc.ca/quelles-perspectives-pour-la-lutte-contre-les-changements-climatiques.aspx?utm_source=Bulletin+Janvier+2012&utm_campaign=Bulletin+Octobre+2015&utm_medium=email] (consulté le 8 juillet 2020)

4 SAVARD Christian (2020). Toujours les mêmes, Québec (Québec), Vivre en Ville. [https://vivreenville.org/nos-positions/chroniques/2020/toujours-les-memes.aspx] (consulté le 10 juin 2020)

5 PARSAEE Mojtaba (2020). “L’importance des espaces intermédiaires au temps de la COVID-19”, Voirvert.ca, TC Media. [https://www.voirvert.ca/nouvelles/chroniques/limportance-espaces-intermediaires-au-temps-la-covid-19] (consulté le 15 avril 2020)